Le jeu dangereux de la francophonie


fantin-latour1La méthodologie Voix Haute repose sur trois principes:

  1. Apprendre à lire (dans) des textes littéraires.
  2. Regarder ces textes comme lieux de mémoire de la langue.
  3. Faire de ces textes l’objet d’activités collectives.

On voit que ces principes sont très simples, et tous ceux qui les ont mis en œuvre, ou qui les ont vu appliquer le temps d’une séance, ont pu constater leur efficacité. Les enfants apprennent, et surtout, en sortant d’une séance, ils déclarent s’être beaucoup amusés.

Cela n’empêche pas que la méthodologie Voix Haute suscite quelques vives résistances. Ceux-là même qui ont constaté son efficacité ne sont pas toujours prêts à l’appliquer. Pourquoi? Parce que cette méthodologie induit un autre paradigme d’apprentissage de la lecture.

Elle va à l’encontre de ce qui est défendu presque partout ailleurs: dans les écoles, dans les bibliothèques, etc… Voix Haute veut en effet qu’on enseigne la lecture en lisant et en écrivant (transcrivant) les textes que l’on lit, et non pas en écrivant (rédigeant) des textes originaux comme le proposent aujourd’hui l’immense majorité des programmes d’aide aux élèves en difficulté (voir, par ex. [+]).

Beaucoup voudraient enseigner la lecture sans qu’il soit trop question de textes. Beaucoup, parmi ceux qui sont censés enseigner la lecture, ont la nostalgie d’une langue universelle qui serait celle de la (divine) raison, qu’on enseignerait pour elle-même, hors de toute réalisation singulière, et pour former des producteurs d’énoncés, tous égaux devant le sens.

Or, il n’en va pas ainsi. Le langage, comme fonction psychologique propre à l’humanité, s’incarne dans des langues naturelles dont aucune n’est universelle, et ces langues à leur tour s’incarnent dans des énoncés dont il est beaucoup plus facile (et profitable) d’étudier ceux qui ont été écrits.

Les acteurs de la francophonie jouent aujourd’hui un jeu bien dangereux en privilégiant une approche de la lecture qui tourne le dos à notre tradition de la culture livresque (ou du rapport à l’écrit). Si nous voulons enseigner la lecture, assumons la culture qui va avec et qui repose sur la célébration collective des textes patrimoniaux. Quant aux enfants, la joie qu’ils montrent à déclamer ensemble des poèmes et des contes est bien supérieure à celle qu’ils peuvent éprouver, au même âge, en rédigeant des billets pour leurs blogues.

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Publié par cjacomino

Docteur en sciences du langage. Créateur des Moulins à parles (M@P)

Un avis sur « Le jeu dangereux de la francophonie »

  1. Je crois que la force de ta méthode réside sur deux aspects :
    – Le premier est de ne pas séparer lecture et écriture et de les penser ensemble comme deux techniques conjointes.
    – Le second est de casser l’isolement de la lecture qui était devenue uniquement une pratique isolée et normée.
    Or, il y a une culture commune qui est celle d’un héritage patrimonial qui reste varié et riche mais qui n’est ni universelle ou uniforme.
    Cela signifie aussi puisque tu parles de francophonie, qu’il y a plusieurs moyens de s’exprimer en français.

    Ensuite, il est clair qu’il y a dans l’apprentissage une phase qui est celle que tu décris et qui nécessite de se mettre d’abord dans les pas de l’autre avant de porter les siens.
    C’est à dire qu’il ne peut y avoir d’individuation et de constitution du soi-même que dans un travail de prise de soin (qui est aussi celui des techniques de méditation, de concentration sur des textes) qui implique la confrontation avec d’autres écrits.
    Alors, on départ, on réécrit, on retranscrit pour mieux comprendre et pour mieux apprendre et ensuite on modifie petit à petit pour se constituer et produire ses propres écrits et ainsi de suite….Car les plus lettrés procèdent toujours de même, on lit, on retranscrit, on copie-colle, on cite et on avance sa propre pensée.
    Ecrire ab nihilo est effectivement une hérésie.

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